Alphabet Illustré Valérie Hugo
François Vatel
Mourir pour des poissons, voilà une idée bien singulière !
Et non ! François Vatel n’a pas inventé la crème Chantilly
De son vrai nom Fritz Karl WATEL, d’origine suisse, était maitre d’hôtel et non cuisinier. Il fut d’abord intendant auprès de Fouquet. Il passa ensuite au service de la maison de Chantilly où il était chargé de l’organisation, des achats, du ravitaillement et de tout ce qui concernait “la bouche” au château.En avril 1671 le Prince de Condé confia à Vatel la tâche d’organiser une fête en l’honneur de Louis XIV avec trois mille invités.
La fête fut de tous points réussie. La Gazette de France en a laissé une relation « où défilent promenades, chasses, concerts, festins, collations dans le parc, illuminations, feu d’artifice sur l’eau ». Leurs Majestés visitèrent un palais que le duc d’Enghien avait fait bâtir dans le petit parc, sous le nom de la Maison de Sylvie. « La collation fut présentée en ce beau lieu, dans une salle percée des deux côtés en symétrie, de l’un desquels on découvre un parterre rempli de tant de fleurs et de couleurs si différentes, qu’il serait difficile de voir une nuance plus agréable ; et de l’autre, un buffet dressé entre les arbres, qui semblaient courber leurs rameaux pour en former une couronne à l’or, l’argent, aux cristaux et aux porcelaines qui le composaient. Ce régal était accompagné d’un charmant concert de violons et de hautbois. »
La réception commença un jeudi soir et fut marquée par quelques incidents. Lors du souper le “rôti” manqua à plusieurs tables à cause de dineurs imprévus. Le lendemain, à l’aube, Vatel s’informa de l’arrivée de la marée pour la table du jour et apprit que seuls deux paniers de poissons étaient là. Après avoir déclaré : “je ne survivrai pas à cet affront ci” il gagna sa chambre, met son épée contre la porte et appuie à la place du cœur. Quelques minutes plus tard les paniers de poissons arrivent, on chercha partout l’officier de bouche pour effectuer la distribution et on le trouve mort ensanglanté.
Comme la plume et l’esprit de Madame de Sévigné sont bien plus fins et habiles que le mien, je lui laisse-vous conter la fin tragique de François Vatel.
A Paris, ce dimanche 26 avril 1671
« Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi, mais ce n’est pas une lettre, c’est une relation que vient de me faire Moreuil, à votre intention, de ce qui s’est passé à Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu’il s’était poignardé ; voici l’affaire en détail.
Le Roi arriva jeudi au soir. La chasse, les lanternes, le clair de la lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa. Il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners où l’on ne s’était point attendu. Cela saisit Vatel. Il dit plusieurs fois : « Je suis perdu d’honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas. » Il dit à Gourville : « La tête me tourne, il y a douze nuits que je n’ai dormi. Aidez-moi à donner des ordres. » Gourville le soulagea en ce qu’il put. Ce rôti qui avait manqué, non pas à la table du roi, mais aux vingt-cinquièmes, lui revenait toujours à la tête. Gourville le dit à Monsieur le Prince. Monsieur le Prince alla jusque dans sa chambre et lui dit : « Vatel, tout va bien ; rien n’était si beau que le souper du Roi. »Il lui dit : « Monseigneur ! votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. Point du tout, dit Monsieur le Prince ; ne vous fâchez point : tout va bien. » La nuit vient. Le feu d’artifice ne réussit pas ; il fut couvert d’un nuage. Il coûtait seize mille francs. A quatre heures du matin, Vatel s’en va partout ; il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux charges de marée ; il lui demanda : « Est-ce là tout ? » Il lui dit : « Oui, monsieur. » Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point. Sa tête s’échauffait ; il croit qu’il n’aura point d’autre marée. Il trouve Gourville et lui dit : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre. » Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur, mais ce ne fut qu’au troisième coup, car il s’en donna deux qui n’étaient pas mortels ; il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés. On cherche Vatel pour la distribuer. On va à sa chambre. On heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang. On court à Monsieur le Prince, qui fut au désespoir. Monsieur le Duc pleura ; c’était sur Vatel que roulait tout son voyage de Bourgogne. Monsieur le Prince le dit au roi fort tristement. On dit que c’était à force d’avoir de l’honneur en sa manière. On le loua fort. On loua et blâma son courage. Le roi dit qu’il y avait cinq ans qu’il retardait de venir à Chantilly parce qu’il comprenait l’excès de cet embarras. Il dit à Monsieur le Prince qu’il ne devait avoir que deux tables et ne se point charger de tout le reste ; il jura qu’il ne souffrirait plus que Monsieur le Prince en usât ainsi. Mais c’était trop tard pour le pauvre Vatel. Cependant Gourville tâche de réparer la perte de Vatel ; elle le fut On dîna très bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse. Tout était parfumé de jonquilles, tout était enchanté. Hier, qui était samedi, on fit encore de même. Et le soir, le roi alla à Liancourt, où il avait commandé un médianoche ; il y doit demeurer aujourd’hui.
Voilà ce que Moreuil m’a dit, pour vous mander. Je jette mon bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais rien du reste. M. d’Hacqueville, qui était à tout cela vous fera des relations sans doute, mais comme son écriture n’est pas si lisible que la mienne, j’écris toujours. Voilà bien des détails, mais parce que je les aimerais en pareille occasion, je vous les mande. »
A propos de la crème fouettée
Château de Chantilly
La crème fouettée, sucrée et aromatisée existe sous le nom de « neige de lait » en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne depuis la première moitié du XVIe siècle, soit 100 ans avant la naissance de Vatel. L’apparition de ce type de crème est à mettre en relation avec la grande vogue des produits laitiers au sein des élites au cours de la Renaissance italienne.
Voici la première recette écrite de crème fouettée :
“Pour faire de la neige.
Prenez un pot (50 cl) de crème douce. Prenez le blanc de huit œufs et battez-les bien. Ajoutez-les à la crème avec une cuillère d’eau de rose et une tasse de sucre. Ensuite prenez un bâton et nettoyez-le bien avant de le couper en quatre tiges avec lesquelles vous battez le tout [on noue les tiges pour en faire un fouet]. Au fur et à mesure que la crème lève, mettez-la dans une passoire. Lorsque c’est fait, prenez une pomme et mettez-la au milieu du plat avec un brin de romarin. Aspergez la crème d’eau de rose et remettez-la dans le plat. Si vous avez des gaufres, mettez-en quelques-unes et servez. (En Angleterre, 1545 (Catherine Frances Frere, A Proper Newe Booke of Cokerye, With Notes, Introduction and Glossery, Cambridge, W. Heffer & sons, 1913, p. 25).)
Sources
http://www.ecrivaines17et18.com/pages/17e-siecle/ecrivaines/sevigne/mme-de-sevigne-et-vatel-commentaire.html#5PBY5vRcLdlt9orQ.99
https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2002-4-page-631.htm
http://chefsimon.com/articles/litterature-francois-vatel
https://www.campus.uliege.be/cms/c_10297893/en/les-grands-mythes-de-la-gastronomie-vatel-et-l-invention-de-la-creme-chantilly
Une nouvelle invitation qui donne envie de douceur !
Sais-tu qu’il y a une école hôtelière Vatel à Lyon ? A tester, ce sont les élèves qui nous régalent …
J’aimerais bien tester mais je suis très loin…………………Peu-être la prochaine fois que je viens en France .