Alphabet Illustré de Valérie Hugo
Maitre Chiquart
J’ai découvert l’élusif Maistre Chiquart au hasard de mes recherches culinaires sur la grande toile. Maitre Chiquart était le cuisinier du Duc Amédée VIII de Savoie. Le Duc a demandé à son Maitre queux de mettre par écrit son art de cuisinier à la gloire de la cour de Savoie. Alors en 1420, Maistre Chiquart dicte ‘’Du fait de cuysine’’, au clerc Jehan de Dudens à Annecy.
‘’Du fait de cuisine’’ nous est connu par le manuscrit S 103 de la Bibliothèque cantonale du Valais à Sion. Ce manuscrit provient de la bibliothèque de l’évêque Supersaxo (15e siècle). Le texte a été transcrit par Terence Scully, un universitaire canadien, et édité par la revue Vallesia en 1985 ‘’
Mais attention !!! Pour nous cuisinières du 21ème siècle, les moyens mis au service du cuisinier en chef sont gigantesques, tant par le nombre de casseroles, pots, poêles divers, que par les quantités de nourriture servis aux convives. Donc,en avant pour préparer le banquet pour la visite du Duc de Bourgogne, glorifier le Duché et pendant que l’on y est, en mettre plein la vue aux invités.
D’abord, on va faire les courses pour acheter les marmites et autres broches nécessaires à la préparation des mets.
‘’Maître Chiquart dévoile tout d’abord les coulisses des cuisines et énumère les ustensiles indispensables pour préparer les plats : il lui faut des chaudières pour cuire la viande, 12 mortiers, 30 casseroles, 100 cuillères en bois ou encore 120 longues broches de 4 mètres pour rôtir.’’
Ensuite, nous allons au marché.
‘’Il décrit ensuite les ingrédients nécessaires pour un banquet de plusieurs jours : 60 gros porcs, 100 porcelets, 100 bœufs, 130 moutons et, pour chaque jour de banquet, 200 chevreaux, 200 agneaux, 100 veaux, 2000 têtes de volailles et 6000 œufs, sans compter les produits de la chasse (chevreuils, lièvres, perdrix, etc.) et les poissons (mulets, merlus, dorades, perches, etc.) pour ceux qui ne mangent pas de viande.
Les épices, base de la cuisine des nobles, sont largement utilisées dans ces recettes. En voici quelques-unes plus ou moins connues : cannelle, clous de girofle, noix de muscade, cumin, gingembre, safran, anis, poivre rond, cardamome, galanga, graine de paradis (maniguette), macis et sucre (oui, le sucre est bien une épice au Moyen Âge). Contrairement à l’idée reçue, les épices ne sont pas utilisées pour masquer le goût de la viande faisandée ; les viandes sont d’ailleurs consommées beaucoup plus fraîches qu’aujourd’hui (au plus tard le lendemain de l’abattage). Les épices valorisent le statut social de celui qui les mange puisqu’elles sont très chères. Elles fascinent aussi par leurs saveurs, couleurs et surtout par leurs origines exotiques’’
Pendant un banquet digne de ce nom, il fallait aussi proposer de la musique et des danses, mais aussi des joutes entre chevaliers, pour que les participants puissent montrer leur adresse à cheval et au maniement des lances. Les vainqueurs recevaient des prix somptueux. Il y avait toute une codification et une étiquette concernant ces festins et amusements.
Les recettes ci-dessous proviennent de la transcription de Terence Scully, ainsi que de la transcription et traduction en français sous la direction d’Annick Englebert, Université libre de Bruxelles.
Les poireaux blancs ( Version originale)
Pour faire les porriaux /37v/ blancs si face cil qui en haura la charge qu’il hait ses porriaux et si les trenche menuz et les lavés tresbien et mecte boullir. Et si prenne ung bon tropt d’eschine de porc salé et si le nectoie tresbien et mecte boullir avecques et quant ilz seront bien boullis si les tirés hors sur tables belles et nectes et que ilz gardent bien le boullon en quoy ilz hauront boullir et que il y a une bonne morterie de amendres blanches et puis prennés du boullon en quoy ont boullir lesditz porriaux et y traysent ses amendres et si n’a assés dudit boullon si prenne du boullon du beuf ou du mouston et se garde qui ne soit tropt salé et puis apprés mectés vostre broet boullir en oulle belle et necte. Et puis prennés deux couteaux beaus et nectz et chapplés vostres pourreaux et puis les prennés et broyés au mortier et estre broyés si les mectés en vostre boullon d’amendres que eaue mi bulli. Et elle estre bullies quant viendra au drecier si mectés vostre grein en beaux plateaux et puis dudit boullon desdiz pourreaux mectés par dessus.
Pour faire les poireaux blancs ( en français)
Que celui qui en aura la charge fasse en sorte qu’il ait des poireaux. Qu’il les coupe finement. Lavez-les très bien. Qu’il les fasse bouillir. Qu’il prenne un bon morceau d’échine de porc salé. Qu’il le nettoie très bien. Qu’il le fasse bouillir avec. Quand ils seront bien bouillis, retirez-les [et déposez-les] sur des tables belles et nettes. Qu’ils gardent bien le bouillon dans lequel ils auront bouilli. Qu’il y ait un plein mortier d’amandes blanches. Puis prenez du bouillon dans lequel ont bouilli les poireaux. Mouillez-y vos amandes. S’il n’y a pas assez de bouillon, qu’il prenne du bouillon de bœuf ou de mouton. Qu’il prenne garde qu’il ne soit pas trop salé. Puis après faites bouillir votre brouet dans une belle marmite propre. Puis prenez deux couteaux beaux et propres. Découpez vos poireaux. Puis prenez-les et broyez-les dans un mortier. Une fois broyés, mettez-les dans votre bouillon d’autant d’amandes que d’eau, à mi-cuisson. Une fois bouillies, quand viendra le moment de dresser, mettez votre grain sur de beaux plateaux. Puis mettez par-dessus du bouillon de poireaux
Une mousseline de pommes ( version originale)
Encour plus emplumeus de pomes pour donner entendement a celluy qui le fera sy prennés de bonnes pomes barberines selon la quantié que l’on en vouldra faire et puis les parés bien et appoint et les taillés en beaulx platz d’or ou d’argent et qu’il hait ung beau pot de terre bon et nect et y mecte de belle eaue necte et mecte boullir sur brase belle et clere et mecte boullir ses pomes dedans. Et face qu’il ait de bonnes amendres doulces grant quantité selon la quantité des pomes/103v/ qu’il ha mis cuire et les plume nectoie et lave tresbien et mectés broyer au mortier qui ne sante point les aulx et si les broie tresbien et les arouse du boullon en quoy cuisent lesdictes pomes et quant ledictes pomes seront assés cuictes si les tirés dehors sur belle et necte postz et de celle eaue colle ses amendres et en face lait qui soit bon et espés et le remecte boullir sur brase clere et necte sans fumee et bien petit de sel. Et entretant que il bouldra si hache bien menut ses dictes pomes a ung petit et nect coutel et puis estre hachiés si les mecte dedans son lait et y mecte du succre grant foison selon ce que il y a desditz emplumeus de pomes et puis quant le medicin le demandera si le mectés en belles escuelles ou casses d’or ou d’argent.
Mousseline de pommes (en français)
Encore plus, mousseline de pommes : pour faire comprendre à celui qui le fera, qu’il prenne de bonnes pommes barberines selon la quantité qu’il voudra faire. Pelez-les bien et finement, coupez-les sur de beaux plats en or ou en argent. Qu’il prenne un beau pot en terre solide et bien propre ; qu’il y mette de la belle eau pure ; qu’il la fasse bouillir sur de la braise belle et vive ; qu’il mette à bouillir ses pommes dedans. Qu’il fasse en sorte d’avoir de bonnes amandes douces en grande quantité, en proportion des pommes qu’il a mis à cuire ; qu’il les monde, les nettoie et les lave très bien et qu’il les fasse broyer dans un mortier qui ne sente pas l’ail. Qu’il les écrase très finement, qu’il les arrose de l’eau dans laquelle cuisent lesdites pommes, et quand les pommes seront assez cuites, qu’il les sorte sur une belle planche propre, qu’il fasse couler de cette eau [sur] des amandes et en fasse un lait qui soit bon et épais ; qu’il le remette à bouillir sur de la bonne braise vive et sans fumée et [sur] un tout petit peu de sel. Pendant qu’il bout, qu’il hache finement ses pommes avec un petit couteau propre et lorsqu’elles sont hachées, qu’il les mette dans le lait ; qu’il y mette du sucre en grande quantité, à proportion de la mousseline de pommes. Et puis, quand le médecin le demandera, mettez-les dans de belles écuelles ou des plats d’or ou d’argent.
Sources
http://www.diachronie.be/textes_gastronomie/1420-chiquart/index.html#chiq_21bs
Dans les cuisines de Maître Chiquart
Porc aux amandes et au miel – facile – 20 min
http://www.oldcook.com/medieval-maitre_chiquart
Bon raté pour la recette du porc aux amandes et au miel : je me suis contentée pour ce soir d’un rôti de porc au vin blanc agrémenté d’ haricots verts aillés et persillés…
Mais ça m’a l’air très bon ce porc au vin blanc !
merci pour ce voyage gastronomique dans la Savoie du XVe siècle.